Les chroniques littéraires

 

par JH ROCH

 

Entre 2009 et 2014,

JH ROCH a publié une chronique littéraire mensuelle pour

La Belle Vie 50+

RETOUR AU CENTRE D'ACHAT

Juillet 2013

 

YVON DESCHAMPS

« J’en peux plus de parler de moi-même »

 

Par JH Roch

 

L’homme marchait à pas pressés, le front penché, dans sa hâte d’arriver à destination.  Il avait stationné son véhicule derrière l’église et s’engageait maintenant sous la pâle lumière de la petite ruelle, dominée par le haut mur du presbytère St-Arsène.

 

Dans le coude de la ruelle, une maison éclairée de l’intérieur, une femme à la porte.  C’est moi.  Je fais entrer Le Gros.  Comme c’est un chat, il prend son temps.

 

Sans ralentir, l’homme me regarde et je le reconnais, exactement comme chacun et chacune au Québec.  Il me sourit, moi de même, et pour me donner un petit quelque chose en échange de sa popularité, me dit : ‘Beau gros minou!’, en désignant Le Gros.  Je dis ‘oui’, un peu interloquée, en le suivant des yeux.  Toujours souriant, il continue, front penché.

 

C’était ma rencontre avec Yvon Deschamps, un soir de novembre, au début des années 90.  Le Bazar annuel du Chaînon venait de commencer.

 

Si je raconte cette anecdote, c’est que j’ai perçu dans cette biographie écrite par Claude Paquette le même homme rencontré dans la ruelle.  Affairé, modeste, généreux, préoccupé, voilà Yvon Deschamps.

 

L’auteur suit son Yvon de près depuis plus de quarante ans. Fasciné par sa productivité créatrice et par son inclassable succès, il publie en 1997 ‘Un aventurier fragile’ chez Québec-Amérique, titre qui décrit très bien son sujet. Dans cette nouvelle biographie publiée en 2013, l’auteur approfondi sa connaissance de l’artiste.

 

Yvon Deschamps a collaboré à cette biographie en accordant de nombreuses entrevues à l’auteur.  Mais contrairement à ce que l’on peut supposer, Deschamps n’est pas disert dans la vie.  Paquette a donc cerné son sujet à l’aide de toute la documentation possible autour de l’humain et de son environnement immédiat et élargi.  Il a esquissé le fil conducteur d’un individu résilient à l’extrême, d’un trompe-la-mort du rire, d’un funambule de la provocation.

 

Né le 31 juillet 1935, Deschamps, on le sait, a grandi à St-Henri, un quartier crasseux et bruyant du Montréal des années 40, enclavé entre les usines et le réseau ferroviaire.  Ses deux frères et lui ont pour père Avila, un homme instruit qui pourtant ne gagnera sa vie que très humblement, un homme qui ne montre pas ses émotions, bref un public inattentif, et Anna, une mère terrifiante, qui battait ses enfants jusqu’à ce qu’ils perdent conscience, qui désapprouvait avant de savoir et qui chialait tout le temps : un public lanceur de tomates pourries.

 

Comme pour nombre d’individus dont la mère est indigne de confiance, la vie entière est une chute vertigineuse dans le vide car rien ne peut remplacer l’ancre maternelle.  La force de Deschamps est de s’accrocher à tout ce qui passe à sa portée pour ressurgir sur la plateforme de la scène et provoquer le rire, l’émotion, le malaise jusqu’à recevoir non plus une claque mais UNE CLAQUE, l’ovation d’un public qui l’applaudit.

 

Il faut beaucoup d’occupations vitales pour ne plus ressentir la chute dans le vide, pour éviter l’introspection qui mène… à quoi ?   Deschamps ne se contente pas de performer sur scène, il participe à des œuvres, aide par tous les moyens, fait plus que sa part pour soulager la misère humaine.

 

Dans sa vie, il a reconstruit une famille digne de confiance, avec des collaborateurs qui ont épaulé sa carrière et participé à ses projets d’affaires formidables, mais pas toujours rentables.  Sa vie conjugale est un succès, ses trois filles et son épouse, la très talentueuse Judi Richards (qui serait en elle-même un excellent sujet de biographie), ont tramé autour d’Yvon Deschamps le cocon durable qui peut réconforter l’homme dans sa chute.  Lorsque le Manoir Rouville-Campbell est devenu la scène sur laquelle Yvon et Judi pouvaient accueillir les spectateurs comme des invités qu’on aime, la joie est revenue dans la demeure de l’enfant battu de St-Henri.

 

Cette biographie est une lecture en or pour les cinquantenaires québécois que nous sommes, car depuis ‘L’Osstidcho’, c’est toute notre culture qui est passée en revue, tout comme nos tribulations politiques, nos remous sociaux, nos changements de valeurs.  Claude Paquette est un penseur et un observateur.  Il braque l’éclairage sur l’œuvre de Deschamps en la sertissant constamment dans son contexte car, oui, l’œuvre de Deschamps est un diamant.  Un diamant brut qui a l’aspect du charbon pour certains peut-être, mais un diamant éternel très certainement.

 

Pour la réflexion qu’il amène, en plus du plaisir de la lecture, je vous recommande ce livre qui jalonne notre époque.

 

YVON DESCHAMPS

« J’en peux plus de parler de moi-même »

Par Claude Paquette

391 pages

Éditions Contreforts - Biographie