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Mars 2014

 

La femme d'un homme

 

Par JH ROCH

 

Nostalgique des histoires qui ne seront jamais écrites, je suis. L'auteure de La femme d'un homme est décédée d'un cancer à 65 ans, quelques semaines avant la parution du titre.  Après une vie de rédactrice, elle s'est éteinte sans pouvoir goûter la gloire de son premier et seul roman.

 

Je révère ces oeuvres unique, à l'instar de La rivière du sixième jour de Norman Maclean, écrites par des auteurs âgés, résultats du mûrissement, des pièces substantielles, de rares et véritables millésimes.  Elles évoquent pour moi l'ancien – ou l'ancienne – qui transmet un récit au coin du feu, capable de captiver son auditoire, soir après soir, avec la même épopée.

 

Le personnage central est psychologue.  Jodie Brett a quarante-cinq ans.  Sa vie est stable : elle reçoit quelques patients – des cas légers – dans le superbe appartement avec vue au 26ième étage d'un gratte-ciel de Chicago. C'est une femme d'intérieur, elle aime son existence faite de confort, ponctuée de luxe domestique, elle aime son jeune chien Freud et elle aime cuisiner pour son coinjoint Todd, qu'elle aime tout autant et qui la trompe depuis le début des vingt années qu'ils ont passées ensemble.

 

Dès la page 2 du premier chapitre, A.S.A. Harrison nous annonce que la délicate et raffinée Jodie deviendra une meurtrière.  Dès lors vous êtes saisi et vous ne lâchez plus ce livre.

 

« ...ils savent tous les deux qu'il est infidèle, et il sait qu'elle le sait, mais il faut absolument maintenir (...) l'illusion qu'il n'y a aucune ombre au tableau. »  Même les petites vengeances de Jodie sont invisibles : cacher la clé de l'appartement de Todd, jeter ses vêtements... Pour elle, les tromperies de son conjoint ne sont rien tant que le couple s'aime et qu'ils partagent les repas du soir et les promenades avec le chien.

 

Pour lui, comme pour tant d'hommes, sa conjointe est son ancre.  Il ne pourrait se séparer d'elle sans risquer de rompre les amarres de son cerveau.

 

Après une période d'obscur flottement léthargique, il se lie avec la fille de son copain Dean, Natasha, vingt ans.  Malheureusement pour lui, Natasha a le coeur pris et elle n'envisage rien moins que le mariage.  Todd, quarante-six ans, se retrouve dos au mur.  Toujours passionné de Jodie, malgré ses diplômes et sa classe, mais fou de Natasha qu'il considère comme le phare brûlant qui l'a sorti de la dépression.

 

L'histoire est assez banale, je sais.  On a lu ça cent fois.  Et pourtant... Les extraits de l'analyse à laquelle Jodie s'est prêtée à la fin de ses études – extraits qui s'invitent dans ses réflexions actuelles – sont aussi chargés de suspense que la trame même de l'histoire.  Le croiriez-vous ?  Si jamais un roman a mérité l'étiquette 'thriller psychologique', c'est bien celui-là !

 

J'en suis encore à me demander si ce roman plairait autant aux hommes qu'aux femmes.  En tout cas une, et non la moindre, a trouvé The Silent Wife (titre original) aussi passionnant que moi : Nicole Kidman.  Elle sera la productrice du film et l'interprète de Jodie.

 

Alors lisez ce livre afin de vous imprégner de son intensité confinée avant d'assister au film qui sera, je le crois, le couronnement d'un grand duo d'acteurs en l'honneur d'une auteure essentielle et trop tôt disparue.

 

La femme d'un homme

par A.S.A. Harrison

336 pages

Éditions Le Livre de poche